Dans cette section, nous nous penchons sur l’émergence du cyberactivisme auprès des collectifs africains et afrodescendants en France et en Espagne. Les deux pays partent de contextes différents, notamment en termes de politique mémorielle par rapport à la colonisation en Afrique d’une part et eu égard à la tradition des mouvements noirs sur le sol européen d’autre part – pensons, p.ex., à la Négritude au début du XXe siècle ou au vif débat autour de l’afropéanité en France. Pour autant, nous assistons, tant en France qu’en Espagne, au boom sans précédent d’une production littéraire et activiste afro au cours des dernières années, dû en partie à une visibilité propice au sein des espaces culturels aussi bien physiques que virtuels, sous la coordination des communautés afrodescendantes et africaines menant de front un activisme à l’intersection, entre autres, de l’antiracisme, du panafricanisme et de l’afroféminisme. De même, consécutivement nous observons l’émergence de nouvelles figures africaines, afrodescendantes et afroeuropéennes assumant leurs identités transversales, politisant ainsi via la littérature, l’art, le digital, etc., les problématiques qui les traversent. C’est le cas, entres autres, de Léonora Miano, Mame-Fatou Niang, Aïssa Maïga, Franklin Nyamsi, Kiyémis et Isabelle Boni-Claverie en France et de Desirée Bela-Lobedde, Lucía Asué Mbomío Rubio, Asaari Bibang, Lamine Thior, Thimbo Samb, Antoinette Torres Soler et Jeffrey Abé Pans en Espagne.
Au-delà des outils traditionnels comme le livre, la presse « classique » ou la télé, les productions qui découlent de l’#afrocyberactivisme puisent aux sources de plusieurs canaux de diffusion parmi lesquels principalement les plateformes numériques, mettant en lumière des épistémologies naguère méconnues. Grâce à l’émergence du « web 2.0 », les consommateur.ices deviennent elleux-aussi des producteur.rices de contenu, participant à la création, production et circulation des savoirs en ligne. En effet, la dimension participative et interactive qu’offre le cybermonde permet aux « groupes minorés » de faire émerger leurs savoirs, discours et modèles culturels grâce à une praxis trop souvent ignorée dans les sphères mainstream. À contre-courant du récit officiel, les différent.e.s acteur.rices proposent des auto-narrations sous des formes aussi bien artistiques, politiques que littéraires. Celles-ci se caractérisent le plus souvent par de mécanismes d’auto-légitimation, notamment la diffusion de grilles de lecture alternatives relevant de façons « autres » de produire de la connaissance et même de faire science à partir d’outils endogènes, affranchis de l’hégémonie de tutelles institutionnelles. On note par conséquent une nouvelle dynamique dans les espaces numériques qui se manifeste par l’émergence exponentielle de blogs/vlogs (p.ex. Desirée Bela, Mrs Roots), de magazines en ligne (Negrxs Magazine, Les pulpeuses magazine), de podcasts (No hay negros en el Tibet, Afrotopiques), de profils et de contenus d’activistes sur différentes plateformes digitales comme YouTube, Facebook, TikTok et Instagram.
L’intérêt scientifique de notre section réside précisément dans l’enjeu épistémique qu’elle soulève : placer les collectifs afroeuropéens au cœur de la réflexion en faisant du cyberespace un cadre d’agentivité. En s’inscrivant dans l’innovation de la recherche académique, nous mettons en lumière les débats autour des nouvelles subjectivités concernant l’afro(euro)péanité, un lieu de négociation qui ravive les tensions à rebours des héritages en vigueur du « passé colonial ». Suivant une perspective décoloniale, la section souhaite accueillir des propositions portant sur des voix « rebelles », dissonantes ou discordantes, en ligne, qui sont symboles d’une résistance, à même de faire émerger des auto-récits afroeuropéens au cœur du cyberactivisme. Nous nous intéresserons notamment à la création de nouvelles stratégies (auto)narratives par lesquelles les acteurs.trices rendent compte de leurs expériences et récits. Par conséquent, la section entend étudier les discours et épistémologies, les subjectivités et corporalités, les routes et réseaux, les imaginaires et esthétiques, les positionnalités et connectivités, etc. qui se manifestent dans les articulations littéraires, artistiques, culturelles, activistes dans l’espace digital et ses intersections avec le monde non-numérique.
Les propositions (en français ou en espagnol) exploreront le phénomène actuel de l’#afrocyberactivisme en France et en Espagne du point de vue épistémique, en discutant des possibilités et des défis de l’espace digital en tant que moyen de décolonisation des savoirs tout en tenant compte des biais algorithmiques. De même, elles se consacreront à de cas concrets –en se focalisant sur un espace culturel ou en adoptant un point de vue comparatif– pour étudier comment ces acteur.rices se racontent elleux-mêmes afin d’explorer leurs stratégies poétiques et esthétiques. Il s’agira de se questionner sur les manières dont les corps racialisés sont racontés, rendus visibles et décolonisés sur les plateformes digitales à travers une « auto-déstéréotypisation » du sujet racialisé. Les participant.e.s analyseront les manières alternatives dont les expériences des personnes africaines, afrodescendantes et afroeuropéennes sont articulées en marge ou hors des filtres du marché littéraire traditionnel en étudiant les nouveaux espaces culturels digitaux et les récits non hégémoniques qui y circulent, ainsi que les poétiques alternatives et les intertextes afro qui sont utilisés pour traduire les imaginaires des communautés marginalisées par le prisme eurocentrique. Des propositions portant sur des questions similaires en Afrique, dans les Caraïbes et les Amériques francophones et hispanophones ainsi que la circulation transnationale des savoirs sont également les bienvenues.
Sans prétendre à l’exhaustivité, les propositions de communication pourront prendre en compte les axes de réflexion indicatifs suivants :
- Cyberactivisme, co-productions, décolonisation et désacadémisation des savoirs
- Récits contre-hégémoniques et auto-narrations via les plateformes digitales (entre autres, les retentissements des épistèmes antiracistes, panafricanistes, afroféministes etc.)
- Stratégies de résistance, esthétiques subversives et justice épistémique articulées aux textes littéraires, artistiques, culturels, activistes en ligne
- Afrocyberidentités : afroespagnolité, afrofrancité, afropéanité et récits de soi
- Hashtag viral, emoticones, buzz, corps-politique, collectifs afro et cybermétadiscours dans les régions respectives
- Littérarisation de l’espace numérique et nouvelles poétiques et stratégies de narration de soi